Ce dimanche, 6 aout courant, l’ultimatum donné par la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) au Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) pour débarrasser le plancher du pouvoir à Niamey arrive à expiration, alors que les nouveaux maîtres du Niger n’ont pas encore coopéré à l’effet d’une solution pacifique à la crise.
Normalement, la fin de cet épisode sonne le glas des solutions négociées à la crise et ouvre la voie au recours à la force tel qu’annoncé par les dirigeants de l’organisation communautaire en vue du rétablissement de l’ordre constitutionnel et démocratique.
Simple coup de bluffe ou menace sérieuse, la posture de la CEDEAO dans la crise nigérienne qui provoque la surprise générale tranche avec son traditionnel mutisme et inaction dans la gestion des putschs, divise profondément dans les opinions nationales ouest-africaines, jusque dans les palais.
Ainsi, au moment où Abuja, Dakar, Abidjan, Lomé ou encore Cotonou et autres haussent le ton et coalisent leurs armées pour donner suite à la solution de la force derrière la CEDEAO; Bamako, Ouagadougou et encore Conakry, dans une certaine mesure, quant à eux, frappés par le même sort, resserrent les rangs derrière Niamey et avertissent qu’une telle démarche sonnerait comme un casus belli.
Désormais, au regard de cette fracture dans les prises de position des capitales sous-régionales, il est clair que dans cette crise qui oppose les pro démocratie et pro putsch se jouent sérieusement le destin des peuples de l’ouest africain ainsi que le sort de la démocratie et la cohabitation pacifique des peuples dans cette partie du continent.
De part et d’autre, au-delà des aspects simplistes et apparents, la crise revêt une dimension bien plus profonde et complexe aux enjeux majeurs et dont les parties prenantes sont loin d’être les seuls acteurs nationaux et de la sous-région, connus. La zone et dans une large mesure, le continent est devenu le théâtre de jeux géopolitique et géostratégique de certaines puissances, en l’occurrence, la France et la Russie.
Elle implique aussi et surtout une crise des relations franco-africaines au regard du sentiment nationaliste grandissant et celui du rejet de la France, ancienne Métropole qui a le vent en poupe, dans la zone et qui, à tort ou à raison, est soupçonnée de tirer les ficelles de la CEDEAO.
En outre, il y a la question de la stabilité des États et la sureté des pouvoirs civils de plus en plus remis en cause ainsi que celle de la survie de l’institution sous-régionale qui sont en jeu aujourd’hui dans un contexte de menace existentielle du gouvernement du peuple et d’intégration politique.
Pour ma part, au regard des données de la crise et de ses enjeux, le recours à la force envisagé apparait comme une vraie fausse solution au problème, un remède pire que le mal.
Les conséquences graves et durables éventuelles sur l’unité, la souveraineté et la stabilité de l’Etat du Niger et les répercussions dans la sous-région d’une telle solution sont davantage plus importantes que celles qui s’attachent aujourd’hui à la survenance de ce coup de force.
Dans cette solution annoncée, le lourd tribut à payer par le peuple du Niger et les peuples voisins en terme de drames humains, matériels et financiers à venir, le renforcement des mouvements terroristes dans la zone, la remise en cause du « vivre ensemble » sont des risques trop importants et graves à ne pas courir du tout.
Évidemment, l’irruption de l’armée sur les scènes publiques nationales constitue une anomalie inacceptable qui empiète sur la promotion de la démocratie, les droits de l’Homme, la stabilité des Etats et même la survie de nos sociétés politiques. Elle se présente comme un obstacle de taille au développement et doit être comprise en tant que telle et la circonscrire pour le bien des sociétés africaines.
A Niamey, Ouagadougou, Bamako ou Conakry ou bien même ailleurs, dans d’autres régions du continent et du monde, la prise du pouvoir par la force ne saurait être la solution aux crises que traversent les sociétés.
D’ailleurs, l’argument des problèmes de gouvernance évoqué pour s’emparer du pouvoir n’est pas aussi recevable tout comme les solutions qu’on entend préconiser ici et là pour apporter le changement dans nos États.
Ici et ailleurs, le propre des États est d’être toujours confronté à des problèmes de société qui ne finiront jamais. Et tout régime fait, à un moment donné ou à un autre, face à des problèmes de gouvernance dont la nature et l’ampleur peuvent différées d’un Etat à un autre, ou encore la résilience et les capacités à les résoudre peuvent changer d’un régime à un autre.
Mais au bout du compte, jamais la prise du pouvoir par la force ne saurait être une solution. Pour faire simple, elle convoque à l’esprit cette image : mon médecin a du mal à me soigner, mais cela en vaut-il la peine que je le remplace par un charpentier. Avec toute la volonté du monde, la certitude qu’il ne saurait réussir ma guérison l’emportera sur tout.
Alors, au visa de cela, la grande muette doit se cantonner dans la sphère qui lui est réservée de droit dans la société en exécutant les fonctions régaliennes qui lui sont dévolues dans la République, défendre l’intégrité territoriale et l’indépendance nationale. L’ensemble des autres acteurs publics doit œuvrer dans le respect des principes édictés dans l’organisation et le fonctionnement de la Cité. C’est le jeu auquel nous devons jouer chacun suivant sa partition et sous le commandement de la loi.
Malgré ces aspects, l’option de la force dans la crise nigérienne est totalement à écarter et constituerait à coup sûr un véritable échec de la CEDEAO aux conséquences épouvantables, même dans l’hypothèse où elle aboutirait sur les buts recherchés.
A mon avis, le régime de sanctions mis en place contre ce pays continental et dont les possibilités de les renforcer existent toujours, en regards de la situation, est largement à même de contraindre la junte militaire nigérienne à revenir à de meilleurs sentiments, le retour à l’ordre constitutionnel normal.
Dans un cas ou dans un autre, il faut admettre tout de même que les carottes sont cuites pour le régime déchu, ses acteurs font maintenant partie du problème et non des solutions. Il faut travailler désormais pour des solutions de rechange acceptables et cela dans l’intérêt du Niger et des nigériens.
Ainsi, face à l’injustice de l’action des militaires du CNSP, il ne faut pas courir le risque d’opposer le désordre à venir d’une solution armée à la crise. Tout le monde y perdra en fin de compte : le Niger, la CEDEAO, la sous-région et la diplomatie internationale.
Et cela, la CEDEAO devra l’entendre de cette oreille et mettre le cœur à l’ouvrage d’une issue pacifique qui préserve le Niger, l’ouest africain d’une crise grave et durable aux conséquences incommensurables, susceptibles d’affecter la vie et les rêves de plusieurs millions de personnes et de plusieurs générations d’individus.
Bangaly KEITA