Le 11 décembre dernier, des militants du RPG-AEC ont été dispersés à coups de gaz lacrymogènes alors qu’ils étaient aux abords du siège de leur parti dont l’accès avait été très tôt le matin bloqué par des éléments des forces de l’ordre.
Face à cette situation, beaucoup ont déclaré sans détour que c’est bien fait pour eux en prétextant qu’il n’y a pas de liberté pour les ennemis de la liberté. Autrement dit, ce sont les militants ou, du moins certains d’entre eux, qui expliquaient ou justifiaient il y a quelques les restrictions voire les atteintes aux droits et libertés des citoyens. La phrase qui revient souvent sur les lèvres de tous ceux qui ont applaudi cette dispersion musclée est celle-ci : » la roue tourne « .
Avant d’aller plus loin, il faut relever que la Charte de la Transition dispose en son article 8 que » les libertés et droits fondamentaux sont reconnus et leur exercice est garanti aux citoyens dans les conditions et formes prévues par la loi.
Aucune situation d’exception ou d’urgence ne doit justifier les violations des droits humains. «
L’article 34 de la même Charte indique que » les libertés d’association, de réunion, de presse et de publication sont garanties. La loi détermine les conditions de leur exercice. »
En ce qui concerne l’exercice de certains droits et libertés, l’article 621 alinéa 1er Code pénal dispose que » Doivent faire l’objet d’une déclaration préalable, les réunions publiques, les cortèges et défilés et, d’une façon générale, les manifestations politiques sur les voies et réunions publics. «
Le RPG-AEC, en tant parti légalement constitué et non dissout, a-t-il le droit, pendant cette période d’exception, d’exercer les droits reconnus à tous les partis politiques et qui figurent en bonne place dans la Charte de la Transition? La réponse est affirmative.
Il faut noter que depuis le 5 septembre 2021, le CNRD n’a pris aucune décision formelle interdisant les activités des partis politiques.
C’est pourquoi, la dispersion de la réunion du RPG est totalement incompréhensible et viole la Charte que le CNRD a lui-même élaborée sans aucune contrainte. La junte militaire a voulu créer un cadre juridique et institutionnel de la Transition afin d’éviter un pilotage à vue. Elle l’a fait en dotant le pays de cette Charte. Celle-ci ne doit pas être un simple ornement.
De l’autre côté, on peut bien se poser cette autre question : le RPG-AEC s’est-il conformé à la loi en organisant sa réunion du 11 décembre ?
Selon certains, ce n’était pas une manifestation sur la voie publique. Mais l’article 621 du Code pénal vise aussi les réunions publiques.
Il faut noter que d’ordinaire, et à titre d’exemple, les réunions hebdomadaires qui se tiennent aux sièges de certains partis politiques ne font pas l’objet de déclaration préalable.
Qu’est-ce qui peut justifier alors la dispersion de la réunion du RPG-AEC? Est-ce une menace de trouble à l’ordre public ? Ce n’est pas très sûr puisque d’après divers témoignages, c’était une poignée de militants. Et dans tous cas, le risque de trouble à l’ordre public ne peut justifier à lui tout seul l’interdiction ou la dispersion d’une manifestation.
En dépit de la situation exceptionnelle que vit le pays, il est important que les principes pour lesquels les guinéens se battent depuis toujours soient préservés. En applaudissant certains actes, on encourage tout simplement leur répétition. Ce qu’il faut éviter. Le CNRD bénéficie depuis son irruption sur la scène politique, d’une immense popularité en raison des actes salutaires qu’il a déjà posés. En sera-t-il toujours ainsi? Personne ne le sait. Mais en cas de désaccord entre la junte et des groupes de citoyens sur certaines questions liées à la conduite de la transition et si ces derniers étaient amenés à se faire entendre ou à tenter de se faire entendre par certains moyens légaux, qu’est-ce qui pourrait se passer ? En cas de réaction musclée de la part des autorités de transition, ceux parmi les citoyens qui justifient aujourd’hui la mésaventure des militants du RPG-AEC réagiront-ils de la même manière, quand ce sera leur tour ? Cette position, loin d’être un soutien au RPG-AEC dont certains membres disent d’ailleurs qu’ils n’ont que faire de soutiens venant d’acteurs ayant applaudi un coup d’État, s’inscrit dans le combat permanent pour le respect des droits et libertés reconnus par les instruments juridiques tant nationaux qu’internationaux.
En matière de lutte contre les violations des droits de l’homme on ne regarde pas la tête de l’auteur ou de la victime pour approuver ou condamner. Ce n’est ni de l’équilibrisme ni de l’hypocrisie mais de la cohérence dans la défense des principes auxquels on croit.
Me Mohamed Traoré
Ancien bâtonnier