La question mérite d’être posée au regard du tonnerre d’applaudissements constatés ce 24 Août 2022 au passage de son portrait à l’occasion de la présentation du rapport synthèse des Assises Nationales. Les organisateurs de la cérémonie ont eu l’idée de faire passer devant le public les portraits des présidents qui se sont succédés à la tête du pays depuis 1958.
En Guinée, on a souvent eu cette habitude, quand il y a un changement de direction à la tête du pays, de dire, après un certain temps, que les choses allaient mieux avant et que le régime précédent faisait mieux. Le 3 avril 1984, ce sont des milliers de Guinéens qui ont pris d’assaut les rues de Conakry pour exprimer leur joie à la suite de la prise du pouvoir par le Comité Militaire de Redressement National (CMRN). Mais quelques années après, une sorte de désenchantement s’était emparée de la majorité des Guinéens. Certains en étaient même arrivés à regretter feu Ahmed Sékou Touré dont le régime avait été « balayé » par le CMRN dirigé par Général Lansana Conté. C’est donc avec une explosion de joie que l’arrivée au pouvoir du Comité National pour la Démocratie et le Développement (CNDD) le 23 décembre 2008 avait été accueillie. Mais au bout d’une année au sommet de l’État, le CNDD avait fini par décevoir beaucoup de citoyens. Finalement, la préoccupation majeure des citoyens et des acteurs politiques qui avaient adoubé le CNDD était de voir le pays sortir de la transition à deux phases qui avait été imposé au pays par un malheureux concours de circonstances.
La communauté internationale en particulier appelait de tous ses vœux le retour à l’ordre constitutionnel afin de fermer la parenthèse militaire.
En 2010, Monsieur Alpha Condé est porté à la tête du pays à la suite d’élections vivement contestées par son adversaire au second tour. Il n’est pas utile de rappeler les crises graves et multiformes que le pays a connues pendant les onze années de sa gouvernance. C’est presque naturellement et très favorablement que sa chute – pas forcément celle de son régime – a été accueillie le 5 septembre 2021.
Mais il faut relever avec empressement, afin de ne laisser la place à aucune illusion, que les citoyens ont applaudi plus le départ de Monsieur Alpha Condé dont beaucoup de Guinéens avaient fini par se lasser que l’irruption de militaires sur la scène politique. Certains s’étaient même montrés très sceptiques malgré les discours » prometteurs » des nouveaux maîtres du pays.
Mais moins d’un an après le coup d’État qui a mis abrégé le troisième mandat du » Professeur », ses tombeurs doivent commencer à se poser des questions. Les applaudissements enregistrés hier au passage du portrait de l’ancien président peuvent avoir deux explications au moins. Soit la salle était remplie majoritairement de personnes acquises à sa cause, soit l’assistance marquait à travers ces applaudissements leur défiance vis-à-vis du CNRD et son président au regard de la manière dont la transition est gérée.
Ce qui serait regrettable dans la mesure le CNRD a pris le pouvoir il y a moins d’un an. Le désamour serait-il arrivé plutôt avec le CNRD qu’avec les régimes précédents? L’avenir nous le dira sans doute. On pourrait trouver un début d’explication à ce désamour naissant dans l’ampleur des réformes engagées et l’étendue des chantiers ouverts par le CNRD. L’ouverture en même temps de plusieurs fronts crée forcément des mécontents. Mais cette explication ne peut à elle seule permettre de comprendre la défiance de certains vis-à-vis de la junte militaire. On peut y ajouter une certaine arrogance dans la conduite de cette transition souhaite apaisée et réussie.
En tout cas, le génie de tout dirigeant est d’être à même de décrypter les signes des temps. Même quand un dirigeant pense agir dans l’intérêt d’un peuple, il lui faut à chaque moment prendre en compte ce qu’il (le peuple) peut ressentir face aux actes posés.
Maître Mohamed Traoré